Médiocratie et insignifiance
Le philosophe québécois Alain Deneault fustige un monde où, avec la transformation des métiers en "travail", le "moyen" est devenu la norme. Interview. Propos recueillis par Victoria Gairin - Publié le 16/01/2016 | Le Point.fr
« Rangez ces ouvrages compliqués, les livres comptables feront l'affaire. Ne soyez ni fier, ni spirituel, ni même à l'aise, vous risqueriez de paraître arrogant. Atténuez vos passions, elles font peur. Surtout, aucune bonne idée, la déchiqueteuse en est pleine. Ce regard perçant qui inquiète, dilatez-le, et décontractez vos lèvres – il faut penser mou et le montrer, parler de son moi en le réduisant à peu de chose : on doit pouvoir vous caser. Les temps ont changé (...) : les médiocres ont pris le pouvoir. » Voilà qui est dit. Alain Deneault n'est pas du genre à mâcher ses mots. Docteur en philosophie et enseignant en sciences politiques à l'université de Montréal, auteur de nombreux ouvrages sur les paradis fiscaux et l'industrie minière, le penseur québécois s'attaque cette fois-ci dans La Médiocratie (Lux Éditeur) à la « révolution anesthésiante » par laquelle le « moyen » est devenu la norme, le « médiocre » a été érigé en modèle. Entretien.
L’injonction à rester médiocres ?
... Les médiocres n’ont pas pris réellement le pouvoir (dans le sens positif de ce mot de « pouvoir », qui est de changer l’immobilisme en un désir puissant de transformation collective) – ils l’empêchent, seulement, de pouvoir fonctionner. D’où la survenance de mots boiteux et enlisés, tels « gouvernance », où personne ne décide et où tout s’effondre dans la gestion limitée aux uniques intérêts trop particuliers. Trop particuliers parce que particulièrement égoïstes...
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