Missive(s) de terrain(s)
Bonjour
chers
collègues chorégraphes.
Suite
à l'invitation à nous mettre en mouvement je jette mon pavé dans
la mare,
ou
j'espère plutôt poser une pierre à cet ouvrage qui s'annonce
collectif.
Pour
ma part j'ai le sentiment qu'exister et résister hors du moule est
déjà un sacré engagement politique et une activité à temps
plein.
Peu
gratifiante, épuisante, obsédante.
Depuis
9 ans, je suis artiste indépendante, en cela que chaque centime
gagné vient directement du consommateur, un peu comme les circuits
courts finalement.
Et
oui triste réalité quand nous ne sommes pas subventionnés, nous
faisons partie du monde marchand.
Je
refuse néanmoins l'idée de concurrence, et préfère l'idée
d'écosystème.
Je
suis sur une vitesse de création de 1 tous les deux ans voire les
trois ans. (auto-financé évidemment)
Je
suis volontiers pédagogue, et aime partager, questionner,
transmettre la danse, qui reste pour moi un art vivant.
Que
je veux conserver comme tel.
Je
suis défenseur de la poésie, du droit de rêver, du besoin
d'imaginer.
En
aparté je suis une femme.
Il
y a un an, j'ai découvert un autre monde : celui de la subvention,
des réseaux, et du système.
Propulsé
un peu par hasard, grâce à une élue qui a été très intéressée
par ma démarche, ma capacité à aller chercher les publics là où
je ne suis pas attendue.
Jusque
là je préférai parfaire mes appuis, me plonger dans le terrain
aller à la rencontre du public. Etre dans l'action et me dire "si
je suis encore là dans dix ans c'est que ça touche des gens",
sans me soucier de quelconque soutien, réseaux...
Malgré
cette invisibilité aux yeux des professionnels, j'ai pu rencontrer
le public, souvent présent, enthousiaste et prêt à me dire que ça
lui donne envie de pousser la porte des théâtres.
J'étais
contente après 9 ans d'avoir un espace d'émergence.
Je
ne m'attendais pas à sortir sur un mur.
Les
théâtres, les scènes nationales, les réseaux...
Lieux
Infranchissables.
Pour
ma part les raisons à peine caricaturés avancées tout au long de
ma carrière ont été :
Tu
n'es pas une artiste créatrice (serait artiste créateur celui qui
ne ferait que créer, et rien d'autre à côté, mis à part remplir
des demandes subventions peut être) ! Tu es intervenante artistique
(ça en France c'est automatique dès que l'on transmets notre art) !
Ton travail est très pertinent, bien écrit, mais il manque une
pointe de couleur ! C'est vraiment un travail adapté aux enfants,
mais pas l'esthétique que l'on défend ! Ca parle du voyage, mais il
n'y a aucun élément évocateur, tu as pensé à mettre un palmier ?
Tu es une belle danseuse mais tu n'as rien à dire ! Tu es une super
chorégraphe mais tu ne sais pas danser !
C'est
qui qui vous soutient ? Où avez-vous joué ? (ces deux questions
sont peut-être les plus fondamentales)
Dis
moi qui te soutient et je te dirai où tu seras. (si tu seras ?)
Donc
pour moi, pas de visibilité, pas de soutien, pas de réseau, pas
d'aide, et ainsi de suite la boucle se bouclant très vite.
Trop
loin des codes du milieu pour pouvoir m'y plier, trop ancré sur le
terrain pour me perdre dans les papiers.
Me
voilà plongée dans une forme d'indépendance, à devoir innover
pour continuer ce métier, dans une certaine précarité qui ne me
coupe pas forcément pour autant du public, au contraire, mais qui
demande une très grande détermination et beaucoup d'abnégation.
Mais
cela pose quand même une question sur le fonctionnement de ce milieu
que je souhaite partager avec vous.
Quand
les théâtres se plaignent dans une réunion publique, qu'ils vont à
la rencontre des publics et que "même sans être condescendant,
ils ne sont pas bien reçus". Et quand ils disent " nous on
sait faire venir les gens, mais pas les faire revenir".
Qu'à
l'inverse on leur dit que nous sommes artistes de terrain mais que
nous n'avons pas accès aux théâtres. Et que les gens nous
demandent où nous retrouver et quand... Et que je pose aux
programmateurs présents la question du choix, de la légitimité, de
qu'est-ce qu'un artiste... Là, d'autres compagnies lèvent la main
pour dire, "c'est pareil pour nous, les programmateurs ne
viennent pas", d'autres qui disent "nous sommes une
compagnie installée et nous cachons que nous faisons des ateliers".
Le
théâtre est resté silencieux, mais le modérateur a dit en
conclusion à ma question "oui on sait qu'en France il y a des
castes d'artistes, il y a ceux qui entreront dans les théâtres, et
ceux qui n'entreront pas." Il a fait un parallèle entre cette
politique culturelle menée par les scènes nationales et la montée
du Front National.
Des
castes ? Des castes ? Cela mériterait d'être étudié plus en
détail, j'avoue qu'à ce moment je suis restée muette, je n'ai pas
eu le ressort.
Et
personne n'a rebondi d'ailleurs.
Mais
du coup je connais la mienne.
L'autre
mur.
Quand
suite à un travail de terrain mené à 200 % dans l'idée qu'une
subvention est de l'argent public et que ça doit revenir au plus
grand nombre, vous avez pour réponse. "Oui c'est un travail
magnifique, mais ce n'est pas ce qui est demandé", le travail
est minimisé , et on vous fait mauvaise presse...
Là
je me dis, ne pas épouser les codes, les discours attendus et
l'affirmer est dangereux pour moi.
Je
me dis aussi qu' être artiste indépendant et engagé auprès du
public, ça dérange l'establishment.
J'en
viens à me demander si à force de laisser la culture être menée
de la sorte par certains on n'en viendrait pas à établir un mode de
censure.
A
remettre en cause les personnes, et non le système ça revient à
créer un sentiment d'isolement.
J'ai
bien compris que dans le milieu culturel "si tu n'es pas
d'accord c'est que tu es contre". Il n'y a aucune alternative
pour le moment. Ce que je trouve aberrant et assez
contradictoire avec ce que devrait être l'art et la culture.
Pour
moi, ce doit être une ouverture vers la diversité de la vie et non
un repli nécrosé vers une esthétique monolithique.
Pour
sortir de cela, il me semble que laisser une place aux élus, aux
artistes et peut-être aussi au public dans le choix des spectacles
afin de diversifier les propositions, et laisser une place à
différentes esthétiques. Pour sortir un peu des "seuls milieux
autorisés"
Mettre
en peu d'élan démocratique ne ferait pas de mal.
Peut
être aussi, fédérer les énergies des artistes chorégraphiques,
qui font les mêmes constats, pour porter notre voix plus haut et ne
pas laisser ce problème de système prendre des allures de remise en
cause personnelle, qui soit isole, démotive, soit fait prendre le
pli à certains.
Ecrire
ça, ne va pas me faire que des amis, mais les artistes ne sont pas
là que pour être consensuels.
D'ailleurs
quand j'ai demandé pourquoi les pros ne s'étaient pas intéressés
à mon travail lors de ma présence sur un territoire j'ai eue pour
réponse : "ils ont le droit de ne pas te trouver
sympathique"
Soit,
j'y médite.
Je
partage tes réflexions. Aujourd’hui j’en ai fait le deuil pour
ne pas perdre mon énergie mais parfois ma colère se réveille et je
ne manque pas de l’exprimer auprès des responsables (artistes
compris) et de dénoncer ce dysfonctionnement.
Ces
personnes à la tête de ces supermarchés (théâtres, festivals
etc...) du spectacles vivants et leurs complices (DRAC et autres
distributeurs de subventions …) ne doivent pas mettre ton travail
en doute, tu existes malgré eux auprès du public, quelque-part tu
les rends incompétents puisqu’ils ne savent pas se saisir de cette
relation que tu as su créer avec ton public. Leurs jugements, points
de vue ne sont que leurs points de vue et ils ne détiennent pas le
monopole de la vérité sur l’art.
Qui
sont-ils pour juger qui est artiste ou pas, si ton travail est
intéressant ou pas ? C’est tellement subjectif… Quelle
prétention !… Ils n’ont aucune légitimité. Ils ont seulement
le pouvoir de distribuer l’argent public (que parfois ils ont
l’impression de sortir de leur poche).
La
qualité de ton travail n’a rien à voir avec l’argent. Je crois
que la fidélisation de ton public est plus parlant …
De
plus, ils ne sont pas très mobiles, ils tournent en rond dans leurs
supermarchés…Personnellement je ne les vois pas très curieux :
aller découvrir des artistes hors des lieux connus, ils en sont
incapables, ils sont formatés et ne prennent aucun risque… Ils te
diront qu’ils sont débordés…
Ils
ont oublié que s’ils sont là où ils sont c’est parce-que les
artistes existent et non pas le contraire.
Ils
sont entre eux, avec eux, pour eux, la mutualisation des lieux ne
fait qu’accentuer l’entre soi… Ils s’échangent les artistes
comme des produits de consommation.
Au
lieu de trouver des moyens pour accompagner les artistes dans leur
singularité et sensibiliser et susciter la curiosité des publics,
exercices difficiles qui requièrent une certaine inventivité et
stratégie, ils déplacent leur rôle dans celui d’expert
artistique. C’est plus facile et plus gratifiant car ça les met à
la place du savoir… Eux savent ce qu'est l’Art ! Ils détiennent
le savoir !!!
Ils
feraient mieux de cultiver «le voir».
Ton
témoignage n’est pas isolé et je t’encourage à l’exprimer
mais ne remets pas en cause ton travail.
Les
artistes sont aussi responsables de ce dysfonctionnement, certains
cautionnent ce système , parfois même ils sont invités à enfiler
le costume du savoir et deviennent experts artistiques… Le jugé a
l’honneur de devenir juge. Il fait parti de la caste des vrais
artistes... Le système est pervers…
Marguerite,
je suis admiratrice de ta résistance depuis 9 ans ! Quelle
performance ! La permanence est notre terreau pour se frayer des
chemins différents avec d'autres acteurs culturels qui partagent ton
territoire même si le système nous divise.
Les
publics sont nos partenaires, leur soutien est précieux, c’est
avec eux que nous devons chercher nos solutions.
Hélène
Charles
www.artmacadam.fr
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